Lettres et littérature américaines

Le blog nature writing

Tout n’est pas que Nature

Tout d’abord, je tiens à remercier Marlène des éditions Albin Michel pour m’avoir fait parvenir ce livre qui bien que n’appartenant pas au genre nature writing demeure une agréable lecture. La quatrième de couverture laissait pourtant envisager un roman proche de ce genre littéraire : « Habité par la présence entêtante des paysages du Montana dont Kevin Canty a fait son territoire littéraire, … » Comme quoi, on ne comprend que ce que l’on veut bien comprendre ! Il faudra donc lire les autres livres de l’auteur pour en avoir une meilleure idée. Après avoir présenté Toutes les choses  de la vie, je m’attacherai à mettre le doigt sur ce qui fait un livre de nature writing.

Toutes les choses de la vie est un livre récent, puisque publié aux Etats-Unis en 2010 sous le titre Everything, et traduit en français par Anne Damour pour une publication en 2014. Trois histoires se croisent continuellement, ou plutôt trois couples qui se font et défont : RL, June et Layla qui forment initialement une famille — Layla étant leur fille. Bien que RL et June soient divorcés depuis plusieurs années ils entretiennent une relation amicale assez stable. Chacun va avoir l’occasion de refaire sa vie avec une autre personne ce qui créera tensions et questionnements sur leur devenir personnel et familial. Kevin Canty a su ne pas tomber dans les clichés rabattus du couple séparé, et le livre se lit facilement et de manière très fluide — ce qui est déjà en soin appréciable. L’alternance des trois histoires qui finalement ne font qu’une est aussi rondement menée, rendant ainsi le récit plus dynamique et compact. En effet, les chapitres sont relativement courts et s’enchaînent bien.

Loin des clichés je disais plus haut car en effet, Kevin Canty ne propose pas des personnages qui cherchent l’Amour absolu, l’abandon de soi pour un(e) autre. Ils cherchent avant tout à se sauver d’un quotidien terne et inintéressant. Le vide intérieur qu’ils ressentent à juste besoin d’être comblé, reste à savoir si la méthode est la bonne. La relation à l’autre et à soi est au cœur de ce livre et est à mon sens traité avec élégance et finesse. En effet, la majeure partie du livre se déroule dans un environnement froid, neigeux, marquant une (fausse) inertie dans la vie des personnages. Inertie puisqu’ils ont l’impression d’être enfermés dans un temps qui ne leur correspond plus, et pourtant tout est chamboulé autour d’eux. Le passage dans le désert mexicain, aux antipodes des neiges du Montana, est le second environnement significatif. Cet espace marque un tournant, la fin d’un purgatoire pour tous les personnages, même s’il n’est vécu que par RL et sa compagne d’alors. Le retour est d’ailleurs perçu comme à la fois un soulagement et un renoncement — et je n’en dirai pas plus pour ne gâcher votre lecture.

Il y a donc dans Toutes les choses de la vie pléthore d’éléments qui peuvent dans un premier temps faire penser au nature writing mais ce n’est pas suffisant. En effet, la nature n’y tient qu’un rôle de décor, ou au mieux métaphorique. Elle ne fait pas partie intégrante du récit, il n’y a pas de rapport sentimental à la nature.

De la neige immaculée était fraîchement tombée sur les pics, au loin, et à leur vue RL sentit son cœur bondir et s’élancer vers les hauteurs, son véritable pays, son refuge secret. Il y perçut la présence de son ombre, cette autre vie qui était à l’opposé de celle qu’il menait, fraîche, pure, au cœur des grands espaces. (p130)

Je pense qu’ici est cristallisé toute la fausseté du rapport entre RL et la nature. L’opposition entre sa vie citadine, maculée, souillée et celle qu’il n’a pas liée à la nature. Tout semble les séparer. Le fait qu’il soit aussi en voiture et non pas à pied renforce la distance qu’il y a entre lui et la montagne, la rendant ainsi inaccessible et fuyante. Un autre auteur du Montana que j’apprécie particulièrement, Rick Bass, né quelques années après Kevin Canty, écrit beaucoup sur la montagne à la frontière entre le Canada et la vallée qu’il habite. Dans ses histoires, la montagne est souvent au cœur du récit et est parfois indissociable des personnages. Ce n’est pas tant le fait de décrire qui importe, c’est le soucis de la ressentir et de la laisser imprégner un objet d’art. Ainsi, les couleurs, les noms de plantes  et de localités jouent un rôles essentiels participant à l’émergence d’une communauté englobant humain et non-humain. La vraie seule connexion que RL a avec la nature est la rivière, en effet RL est passionné de pêche à la mouche.

En août, RL et Edgar descendirent une section de la Bitterroot pour voir si elle était navigable. Il n’avait pas plu depuis six  semaines et les pompes qui irriguaient les prés avaient tout asséché. La rivière serpentaient au milieu des gravières qui formaient son lit lorsque l’eau les recouvrait, mais elles étaient sèches aujourd’hui. Cette vue mettait RL hors de lui . Il aimait la rivière malgré ses ruses et ses traîtrises, et il la voyait maintenant agressée, diminuée. (p30)

Les troubles de l’environnement peuvent apparaître sporadiquement dans ce livre, mais ne sont qu’un écho aux songes des personnages sans qu’un développement prenne le pas. Cette vision anthropocentrée occulte toute la réflexion et l’histoire d’une lutte pour l’éthique que l’on pourra retrouver chez Rick Bass, Aldo Leopold ou Jeanisse Ray etc.

Bien évidemment, ces deux auteurs écrivent dans un but distinct et il serait stupide de les critiquer pour ce qu’ils ne cherchent pas à montrer. Avant tout, il s’agit ici de mieux comprendre ce qui fait qu’un récit peut être considéré comme appartenant au nature writing. Finalement, Toutes les choses de la vie est un bon livre, agréable à lire et bien qu’il ne rentre pas dans le cahier des charges de ce blog, il s’en rapproche par certains aspects !

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